Bodo Schulze – Stefan Breuer, Aspekte totaler Vergesellschaftung

Bodo Schulze

Stefan Breuer, Aspekte totaler Vergesellschaftung

Le recueil Aspekte totaler Vergesellschaftung regroupe les articles les plus importants que Breuer, professeur en sciences politiques à l’Université de Hambourg, a publiés, dans diverses revues, ces onze dernières années. Breuer propose une relecture de la théorie marxienne de la valeur à la lumière de la Dialectique négative d’Adorno. Dans cette perspective, les trois premiers articles engagent l’analyse différentielle des projets d’Adorno, de Horkheimer et de Habermas.

Breuer montre que la théorie habermasienne n’est que la « reprise de la philosophie idéaliste de l’histoire » (61) substituant au Sujet l’inter-subjectivité communicationnelle: le rationnel en soi est, depuis toujours, là, en tant que langue (Sprache) et ne fait que se réaliser dans la démocratie parlementaire. De cette façon la critique du réel devient affirmation de l’existant. La référence positive à l’idéalisme allemand est également au centre des réflexions de Horkheimer. Malgré tous ses tournants théoriques, Horkheimer fait continuellement jouer la raison contre sa réalisation tronquée par la société bourgeoise, et « conçoit l’idéalisme non comme une forme réflexive de la société abstraite, mais comme le pré-apparaître de la vérité », de l’« essence humaine » (32).

Adorno, par contre, décèle, dans la figure du sujet trunscendental, le principe de l’échange. L’universel de l’idéalisme n’annonce aucunement la société réconciliée, mais repose sur la négation du particulier, de la valeur d’usage. Il n’est pas l’en soi d’une substance humaine non encore advenue, il n’est pas non plus le chiffre du « travail social » comme le pense l’orthodoxie et le jeune Marx, en tant que valeur (25).

Cette articulation entre la socialisation abstraite par la valeur el l’idéalisme absolu hégélien est le point nodal de la lecture de Marx par Breuer. La valeur se totalise au fur et à mesure que le capital passe de la subsomption formelle à la subsomption réelle, réduisant le concret (les valeurs d’usage) à une simple forme d’apparition de l’abstrait (la valeur). Ce faisant, le capital liquide tout antagonisme substantiel entre la valeur d’usage et la valeur – antagonisme qui est la condition de possibilité de la révolution. La désubstantialisation de l’antagonisme capitaliste est le concept régulatif des analyses de Breuer qu’il expérimente dans différents champs. L’article « Subjectivité et machinisation » analyse ce processus à travers les théories de Freud, Lorenzer et Lacan.

La deuxième partie du livre regroupe des analyses historiques sur les transfigurations de la politique et du droit. Les « métamorphoses du droil naturel » exposent sa grande thèse : « Histoire sociale du droit naturel », 1983. La troisième partie enfin, reprend de petites critiques adressées à R. Dutschke, E.P. Thompson, Foucault, Baudrillard et alia.

Aussi juste que soit la critique de l’ontologie du travail du marxisme traditionnel, il me semble que Breuer substitue une ontologie de la valeur conservant ainsi le schéma de la philosophie de l’histoire. Seulement, l’histoire ne nous conduit pas à la révolution, mais la rend progressivement impossible.

Aus: Actuel Marx N° 1, Paris 1987, S. 156